Ces pages sont consacrées aux anciens. Elles contiennent diverses informations sur la carrière et le parcours des anciens. Quelques photos sont incluses lorsque les anciens le désirent. Les interviews réalisées sont retranscrites petit à petit.

Je remercie vivement Gérard Sauvage d'avoir consacré du temps au projet de sauvegarde de la mémoire d'Adret Electronique.

On peut trouver les reproductions de quelques articles scientifiques de Jacques Rutman à la page Articles Scientifiques.

Sa thèse de doctorat du 27 novembre 1974 est disponible également : «Instabilité de fréquence à court terme des oscillateurs : Etude des nouvelles méthodes de mesures dans les domaines fréquence et temps. »

Il est à l'origine des études sur le 7100

Gérard Sauvage

 

Gérard Sauvage, qui avait une formation de physicien, fut embauché d’abord comme stagiaire de thèse chez ADRET en 1971 (avec une indemnité de stagiaire) puis comme thésard de 1972 à 1974 en contrat à durée déterminée. Le contrat de stagiaire permit à Gérard Sauvage de faire son D.E.A. (Diplôme d’Etude Approfondies, premier diplôme du troisième cycle universitaire) en un an. Les deux années de thèses de doctorat, doctorat soutenu en novembre 1974 suivirent ensuite. Le contrat d’embauche ne comportait pas de clauses de résultats à atteindre...

«- Il n’y avait pas d’objectifs à atteindre! Mon embauche était pour ADRET Electronique un «pur investissement intellectuel». C’est Jacques Rutman qui me recruta. Jacques Rutman, qui était un pur théoricien,  terminait sa thèse à l’époque. Jacques Rutman resta deux ans chez ADRET seulement. ADRET Electronique était une petite structure de 150 à 200 personnes et ne pouvait se permettre de garder un pur théoricien mathématicien. La thèse de Jacques Rutman portait sur les problèmes de stabilisation de fréquence et de pureté spectrale. A l’époque de mon embauche, ADRET Electronique était déjà le spécialiste du synthétiseur de fréquences «classique». Les synthétiseurs de fréquence qu’ADRET fabriquait n’étaient pas des générateurs à cavité. Ces générateurs étaient basés sur d’autres techniques. Joël Rémy était le spécialiste de ces appareils. Les appareils de cette époque étaient des générateurs de fréquence dans un domaine plus basse fréquence que la RF (radiofréquence), disons jusqu’à la dizaine de MHz. Alors que le marché de la transmission s’étalait de la centaine de MHz jusqu’au GHz. Et ce marché était tenu par des générateurs classiques à cavité. Ceux-ci présentaient un bon rapport signal sur bruit loin de la porteuse. On ne savait pas encore faire mieux avec les techniques des synthétiseurs «moyennes fréquences» dans le domaine RF. C’est Roger Charbonnier qui eu l’idée d’explorer ce domaine avec d’autres techniques que les générateurs à cavité. Il s’était dit à l’époque qu’il faudrait peut-être embaucher des scientifiques pour étudier ces problèmes. ADRET fabriquait déjà des récepteurs étalon de fréquence, comme le 4101A. ADRET s’intéressait donc déjà aux problèmes liés à la stabilité de la porteuse et pas seulement aux problèmes liés au bruit des synthétiseurs. Il y avait dans le domaine industriel, à l’époque, une activité suffisante pour assurer un chiffre d’affaires rentables. Chemin faisant, Roger Charbonnier s’était dit que tous ces problèmes, études des synthétiseurs dans le domaine RF, stabilité de la porteuse à long terme, nécessitaient des études fondamentales, mathématiques. D’où l’embauche du théoricien Jacques Rutman puis la mienne six mois plus tard. Mais jamais, ADRET Electronique, n’avait eu l’idée, au départ, de fabriquer un synthétiseur d’un nouveau type. Jacques Rutman et loi-même avaient le même directeur de thèse, Jean Uebersfeld. Jean Uebersfeld était le patron de l’équipe universitaire de Besançon, toujours très active encore aujourd’hui en 2008, qui s’occupait de recherche sur les oscillateurs, du bruit dans les oscillateurs, tout ce qui touchait à ce domaine (quartz, horloges atomiques, …)

Il faut préciser ici que Jean Uebersfeld n’était pas un professeur ordinaire si l’on peut dire. Il avait une intelligence qualifiée «hors du commun» par ses proches. A l’heure actuelle, Gérard Sauvage (qui a 59 ans) et son équipe d’Europtest travaillent toujours très activement avec l’université de Besançon. La thèse de Gérard Sauvage n’était pas uniquement théorique mais comportait des aspects expérimentaux très importants. Les études de Gérard Sauvage portaient, du point de vue expérimental, sur les mesures des pilotes à quartz, conception de pilotes à quartz, boucle de phase, bruits dans les composants, etc… et, du point de vue théorique, sur le calcul du bruit, l’origine du bruit dans les composants, en particulier dans les transistors. Il y avait donc les aspects théoriques puis applications pratiques dans les travaux de Gérard Sauvage. Ces travaux conduisirent aux notions de boucles de phase qui permirent la réalisation des générateurs RF à synthétiseurs de fréquences jusqu’à 1GHz ou plus avec des qualités spectrales qui étaient meilleures de 10 à 20 dB par rapport aux appareils de l’époque (dont la technologie était basée sur les générateurs à cavité). A l’époque, ADRET Electronique avait laissé échapper un marché très important pour l’armée de, disons, quelques 500 synthétiseurs. Celle-ci avait commandé les synthétiseurs chez Férisol qui fut repris plus tard par Tekelec. C’était, à l’époque,  un générateur V/UHF à cavité, qui «montait» avec l’option doubleur jusqu’à 1,3 GHz. Le contrat avec l’armée put être entérinée par Férisol car celle-ci était technologiquement et politiquement bien placée. Il faut aussi préciser ici que le jeu des cooptations était très efficace à l’époque.

Quelques mois après, Gérard Sauvage présenta les résultats de ses travaux à ADRET :

«- Voilà, on est capable maintenant de faire un générateur synthétiseur aux caractéristiques au moins dix fois meilleures que tout ce qui existe !».

C’est alors que Joël Rémy, qui était le patron direct de Gérard Sauvage, et qui avait une vision globale d’un instrument, disons une vue d’ensemble de ce que pouvait être tout un produit (alimentation, modules divers), mit en place la réalisation du 7100. Une autre innovation fondamentale fut l’apport des microprocesseurs. Adret embaucha pour cela un ingénieur Supelec, Denis Bélière,  spécialiste des microprocesseurs. Le microprocesseur fut donc introduit dans le 7100. C’était le Motorola 6802, un microprocesseur 8 bits. Avant l’arrivée de cet ingénieur, Adret ignorait tout des microprocesseurs. Ainsi, pour la réalisation du 7100, Adret avait donc, Denis Bélière, un spécialiste microprocesseur, Joël Rémy, avec sa vision globale d’un instrument de mesure, Gérard Sauvage, le spécialiste du bruit, boucles de phase, structures des synthèses. C’était donc une équipe relativement réduite. Et le 7100 «sorti» assez rapidement, un an après, en 1975. L’armée, qui avait été mise au courant, probablement par Jean Royer, fut séduite et décida de limiter les achats du Férisol en achetant pour moitié des commandes prévues, des 7100 (disons 250 appareils à l’époque, ce qui était énorme). Le 7100 était le premier appareil synthétiseur de fréquence à microprocesseur au monde. Adret Electronique resta sans concurrence pendant deux ans après la sortie du 7100.


«-Contrairement à ce que pouvait penser les observateurs extérieurs au projet du 7100, l’investissement total de ce projet resta modeste. D’une part en terme humain – modeste équipe – et d’autre part, en moyens matériels


Une des erreurs d’ADRET, d’après Gérard Sauvage, était de ne pas les avoir fait évoluer. Ceci dans le sens de proposer une gamme successive d’un même appareil, s’améliorant sans cesse. C’est ainsi qu’après la sortie du 7100, il y eu quelques petits conflits, ADRET ayant décidé de ne plus faire d’investissement de recherche pour cet appareil. Alors que d’après Gérard Sauvage, on venait juste de commencer à faire la première version d’un produit et qu’il fallait réfléchir et investir dans les versions suivantes.
Il faut préciser aussi que l’équipe du 7100 formait au sein d’ADRET un microcosme indépendant : c’était la première fois qu’une équipe concevait un produit à part entière sans que Roger Charbonnier y participa.

«- Roger Charbonnier était tellement fort qu’il était forcément totalement indépendant dans ses créations. Personne n’aurait pu suivre la rapidité de sa pensée. Il ne pouvait faire les choses que tout seul ! Quand Roger Charbonnier arrivait, tout le schéma de l’appareil auquel il avait réfléchi était au tableau ! Il n’y avait pas une seule résistance qui n’était pas calculée !»

Les ingénieurs arrivaient et notaient tout le tableau.

«Prenez notes !» disait Roger Charbonnier.

Les ingénieurs prenaient alors tous les renseignements consignés et allaient réaliser le prototype. Il n’était pas question de discuter sur le moindre calcul qui de toute façon n’était jamais faux.

«-Pour la conception du 7100, c’était une autre manière de travailler. Une équipe, cette fois-ci, s’était mise au travail


Il faut préciser que Roger Charbonnier n’avait pas eu le temps de s’intéresser aux microprocesseurs qui venaient d’arriver sur le marché. Il n’avait pas non plus en tête les caractéristiques de bruit mises au point par Gérard Sauvage à l’époque.
En résumé, il avait fallu du temps et de l’argent à ADRET pour concevoir le meilleur générateur synthétiseur de fréquences à microprocesseur au monde, le 7100. Même si l’argent investi à l’époque paraissait minime au regard de ce qu’il faut investir maintenant. Mais une fois cet épisode passé, ADRET ne voulait pas réitérer l’expérience.

A l’époque Roger Charbonnier avait dit aux ingénieurs :

«Maintenant messieurs, arrêtez de vous amuser !».


Qu’est-ce qui peut expliquer cette remarque de Roger Charbonnier ? Cela se comprend très bien quand on connaissait ce génie : il lui fallait une journée, un week-end tout au plus, pour concevoir à lui tout seul un instrument parfaitement fonctionnel. Cela parait normal avec le recul qu’il ait pu considérer que les ingénieurs avaient pris quelques libertés avec le temps. 

Le dernier projet d’ADRET, l’étude d’un analyseur de spectres hyperfréquences, avait lui absorbé des sommes plusieurs dizaines de fois supérieures à celles nécessaires au 7100 et avait mobilisé plusieurs dizaines d’ingénieurs. C’était un projet qui n’avait rien à voir en taille et en importance avec le projet 7100.
Aux dires des anciens, c’est ce projet qui aurait été l’une des causes de la fin d’ADRET.
De nos jours en 2008, Gérard Sauvage et son équipe ­– des anciens d’ADRET essentiellement– regroupé au sein d’Europtest maintenant appartenant à Aéroflex, ont conçu un appareil (un mesureur de bruit avec une nouvelle fonctionnalité) qui est le meilleur au monde. Là encore, la conception de ce produit mobilisa une équipe très réduite de quelques personnes.